Cette étude a retrouvé une prévalence d’infections sévères à pyogènes de 6 % chez les patients traités par infliximab pour rhumatisme inflammatoire chronique. Il a également été noté que tous les patients ayant présenté ce type d’infection présentaient au moins un facteur de risque associé.

Le principal défaut du travail est représenté par son caractère rétrospectif. De ce fait, certaines données ont été collectées de façon prospective, car incluses dans la feuille de suivi standardisée, mais d’autres ont été obtenues a posteriori. En conséquence, pour ces dernières, il n’a pas été possible de réaliser une comparaison entre les groupes ayant présenté ou non une infection sévère à pyogènes.

Bien qu’à première vue, la prévalence des infections sévères ait été comparable à celles observées dans les grandes études cliniques randomisées, cette prévalence tendait en faità être plus importante dans la présente cohorte. En effet, dans les grandes études type ATTRACT [22], les chiffres de prévalence concernent généralement l’ensemble des infections sévères, et non pas uniquement les infections à pyogène. Par ailleurs, il s’agit de chiffres globaux, qui tendent en fait à être un peu différents selon les sous-groupes. Ainsi, dans ATTRACT, le pourcentage global de patients ayant présenté une infection sévère sous infliximab était de 6 %, mais il n’était que de 2%chez les sujets traités à doses de 3 mg/kg toutes les huit semaines, ce qui correspond au protocole utilisé chez la majorité des patients de la présente étude. Dans l’étude ACCENT [23], effectuée chez des patients atteints de maladie de Crohn, la prévalence des infections sévères était de 3 à 4 %. Les études de cohorte retrouvent quant à elles des chiffres variables, allant de 0 à 18 %. Il convient toutefois d’être prudent dans les comparaisons avec les études randomisées et avec les autres études de cohorte. En effet, il est bien connu que les critères d’inclusion ou de non-inclusion dans les études thérapeutiques conduisent à inclure des populations qui peuvent présenter des caractéristiques un peu différentes de celles traitées en pratique courante. Par ailleurs, il est difficile de comparer des populations issues de cohortes différentes, qui ne sont pas forcément homogènes, les habitudes de prescription ou de suivi pouvant varier en fonction des praticiens ou des pays. Ainsi, à définition d’infection sévère identique, on relève qu’un patient canadien n’a pas été hospitalisé malgré une pneumopathie [24], alors qu’il l’aurait peut-être été dans la présente cohorte. À l’inverse, le patient bourguignon hospitalisé pour érysipèle ne l’aurait peut-être pas été partout.

Enfin, il convient de se rappeler que la présente étude est une étude non comparative, et qu’elle ne permet donc en aucune manière de comparer la prévalence des infections sévères à pyogènes chez les patients traités ou non par infliximab. Les patients traités présentaient en effet une affection sévère, invalidante, traitée dans deux tiers des cas par corticoïdes. On sait qu’il existe une augmentation du risque septique chez les patients atteints de PR traités par doses conséquente de corticoïdes [25]. Il existait donc probablement un biais de recrutement, avec traitement proposé chez des sujets fragilisés, et augmentation basale du risque septique.
Dans cette étude, on note que les infections sont survenues de façon précoce. Ceci n’avait pas été noté dans une cohorte belge de 107 patients traités pour spondylarthrite ankylosante [26]. En revanche, dans une cohorte hollandaise de 230 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde traités par anti-TNF, dont 120 traités par infliximab, plus de la moitié des infections sévères étaient survenues au cours de la première année de traitement [27]. Il paraît donc important d’être particulièrement attentif au risque infectieux au cours des premiers mois de traitement.

Par ailleurs, outre le terrain probablement plus fragile de la population dans son ensemble signalé plus haut, on note avec intérêt que tous les patients ayant souffert d’une infection sévère à pyogènes présentaient au moins un facteur de risque pour ce type de problème. Ces facteurs de risques pouvaient être divisés en deux parties : les co-morbidités, en particulier le diabète et surtout la BPCO ; les facteurs de risque ponctuels. La méthodologie utilisée ne permet pas d’affirmer que la BPCO était plus fréquemment rencontrée chez les patients ayant souffert d’une infection sévère à pyogènes. On peut toutefois se demander si il ne faut pas être plus prudent dans les indications chez les patients présentant une telle co-morbidité. On est en particulier troublé par le fait que les deux patients ayant souffert d’une surinfection broncho-pulmonaire étaient porteurs d’une BPCO sousjacente bien stabilisée, sans notion de surinfections récentes ou fréquentes, et la question du rapport de cause à effet peut être soulevée. Cette possible augmentation du risque de surinfection bronchopulmonaire chez les patients porteurs de BPCO est d’autant plus importante à noter que cette affection est oubliée dans la plupart des recommandations. En effet, en général, celles-ci citent sans autre précision les affections où le risque infectieux est augmenté.

La notion de facteurs de risques ponctuels semble particulièrement importante. En effet, dans certains cas, ce facteur favorisant aurait pu être éliminé. Ceci est notamment illustré par la patiente ayant présenté une septicémie avec spondylodiscite infectieuse, dont le point de départ était un cor au pied surinfecté, ou par l’observation du patient ayant reçu des perfusions de solumédrol quelques jours auparavant. Par conséquent, l’éducation du patient et du médecin est primordiale, d’autant plus que l’utilisation des anti-TNFa se généralise, et il est nécessaire de ne pas banaliser ces traitements. Il convient d’attirer régulièrement l’attention du patient sur ce risque, et de réévaluer avant chaque perfusion le risque infectieux chez les patients, en pratiquant notamment un interrogatoire et un examen clinique complets.

Enfin, les résultats concernant l’augmentation du risque avec l’âge et avec les doses de corticoïdes ne sont pas très surprenants. Il convient de rappeler que ce travail n’est pas comparatif. Des taux similaires d’infections auraient peut être été observés dans les mêmes sous-populations, non traitées par infliximab. Par ailleurs, en ce qui concerne les corticoïdes, on ne peut pas exclure une diminution du risque potentiel compte tenu de l’épargne cortisonée souvent obtenue grâce à l’infliximab. Cependant, bien que ce travail ne permette donc pas de l’affirmer, il conviendrait peut être d’être prudent dans les indications d’infliximab chez les sujets âgés ou chez ceux traités par hautes doses de corticoïdes.

Enfin, on note que tous les patients ayant présenté une infection sévère à pyogènes étaient traités pour PR. Toutefois, la variable maladie sous-jacente n’était associée statistiquement au risque. Par ailleurs, les patients atteints de PRétaient plus âgés, et étaient traités en moyenne par des doses plus importantes de corticoïdes que ceux atteints de SPA, ce qui pourrait expliquer le déséquilibre observé entre PR et SPA dans cette étude. D’autres travaux, de puissance statistique supérieure, seraient utiles pour confirmer cet élément1.

Références :

[22] Maini R, St Clair EW, Breedveld F, Furst D, Kalden J, Weisman M, et al. Infliximab (chimeric anti-tumour necrosis factor a monoclonal antibody) versus placebo in rheumatoid arthritis patients receiving concomitant methotrexate: a randomised phase III trial. Lancet 1999; 354:1932–9.
[23] Hanauer SB, Feagan BG, Lichtenstein GR, Mayer LF, Schreiber S, Colombel JF, et al. Maintenance infliximab for Crohn’s disease: the ACCENT I randomised trial. Lancet 2002;359:1541–9.
[24] Doran MF, Crowson CS, Pond GR, O’Fallon WM, Gabriel SE. Predictors of infection in rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2002;46:
2294–300.
[25] Fitzcharles MA, Clayton D, Menard HA. The use of infliximab in academic rheumatology practice: an audit of early clinical experience. J Rheumatol 2002;29:2525–30.
[26] Baeten D, Kruithof E, Van den Bosch F, Van den Bossche N, Herssens A, Mielants H, et al. Systematic safety follow up in a cohort of 107 patients with spondyloarthropathy treated with infliximab: a new perspective on the role of host defense in the pathogenesis of the disease? Ann Rheum Dis 2003;62:829–34.
[27] Flendrie M, Creemers MC, Welsing PM, Den Broeder AA, Van Riel PL. Survival during treatment with tumour necrosis factor blocking agents in rheumatoid arthritis. Ann Rheum Dis 2003;62(suppl 2):ii30–ii33.