Nous avons abordé jusque là la description de l’enthèse dans sa conception classique, unanimement admise. Durant ces dernières années, certains auteurs ont proposé plusieurs voies d’élargissement de ce concept d’enthèse, en s’appuyant sur des considérations anatomiques, fonctionnelles ou physiopathologiques.

Une première approche nous amène à reconsidérer le tissu fibrocartilagineux tel que nous l’avons décrit plus haut. Plusieurs travaux anatomiques ont montré que la présence d’un tel fibrocartilage n’est pas limitée aux seules zones d’insertion capsuloligamentotendineuses ; il existe en effet des zones de fibrocartilage identique sur certaines portions tendineuses ou de bourses (dans [3]). Ces régions correspondentà des zones de contact, plus exactement de friction ou pression entre le tendon ou la bourse d’une part, et l’os d’autre part. Ainsi, beaucoup de tendons comme par exemple les muscles fibulaires à la cheville et au pied contournent ou enserrent une zone osseuse dans leur trajet ; cette modification d’orientation, équivalente à celle rencontrée dans le système de la poulie, leur permet de transmettre la traction dans la direction finale souhaitée pour le déplacement. La présence de fibrocartilage sur le tendon ou la bourse identifiée dans nombre de ces zones de compression sur l’os, est souvent accompagnée par le même fibrocartilage en regard sur l’os (sur le cuboïde par exemple pour le tendon du muscle long fibulaire). Cette présence de fibrocartilage dans ces zones d’interaction mécanique forte entre l’os et les tendons ou les bourses peut-être fonctionnellement interprétée comme l’existence d’un « organe » de protection à la fois de l’os et du tendon ou de la bourse [3,14,15]. Cette conception d’« enthèse–organe» élargit ainsi la notion d’enthèse à toutes ces zones de fibrocartilage sur les tendons, dans les bourses, et sur l’os en regard. Ce concept paraît soutenu par des arguments physiopathologiques, en particulier dans le domaine des spondylarthropathies [14]. La meilleure illustration de ce concept d’enthèse–organe provient probablement de l’étude de la zone d’insertion achillocalcanéenne [4,16]. Cette zone ne peut se réduire à l’enthèse stricto sensu qui se situe au tiers moyen du calcanéum postérieur ; en effet, il existe juste au-dessus, en contact étroit avec l’os, le tendon et la jonction, une « bourse » qui occupe l’espace rétroachilléen. Lors de la dorsiflexion du pied, le tendon terminalécrase la bourse contre la paroi postérieure du calcanéum. Or les parois de cette bourse, tant en arrière côté tendon, qu’en avant côté osseux, sont constituées d’un fibrocartilage,
celui-ci étant calcifié en avant et non calcifié en arrière [4,16].

Le rôle mécanique de protection, lors des frottements et compressions, de ce fibrocartilage paraît évident. Ainsi, pour certains auteurs, cette bourse avec ses parois de fibrocartilage et son « toit » de synoviale, fait partie intégrante de l’enthèse achilléocalcanéenne [4,16]. Ceci est corroboré par des études IRM en pathologie humaine montrant que dans les enthésopathies achilléennes cliniques des SpA, une bursite rétrocalcanéenne est associée à l’enthésopathie stricto sensu dans les 3/4 des cas ; dans 30%des cas, l’IRM met même en évidence un oedème osseux en avant de la bourse, sous la paroi antérieure de fibrocartilage, identique à celui observé sous la jonction achilléocalcanéenne [17]. Ce concept repose donc avant tout sur des constatations faites dans les SpA grâce à des techniques d’imagerie, montrant que ces zones fibrocartilagineuses de contact, et non seulement des enthèses stricto sensu, sont concernées par le processus inflammatoire de la maladie [18]. La tentation est alors grande effectivement de maintenir l’idée que l’enthèse est le tissu cible des SpA et que donc ces zones fibrocartilagineuses apparentées sont aussi des enthèses [4,17]. Néanmoins certains auteurs insistent sur la définition anatomique de l’enthèse indissociable d’une notion d’insertion, en suggérant de modifier peut-être à terme le tissu cible des SpA en « tissu fibrocartilagineux » (plutôt que d’élargir le concept d’enthèse pour « coller » à la physiopathogénie des SpA) [19,20]. Une autre approche récemment formulée découle elle aussi de données physiopathogéniques des SpA. Ces données ayant révélé histologiquement [21] ou en imagerie [22] une inflammation médullaire de l’os souschondral dans les SpA, la proposition a été formulée selon laquelle la jonction entre l’os et le cartilage hyalin articulaire, qui ressemble beaucoup histologiquement à la jonction os– fibrocartilage de l’enthèse [20,23], pourrait elle aussi être incluse dans la notion d’enthèse [23]. Là encore, cet éclairage nouveau est très intéressant pour notre réflexion sur les mécanismes de l’inflammation des SpA, mais il ne suffit pas encore à bouleverser la définition anatomique des enthèses [20]. La troisième approche que nous développerons est plus ancienne et beaucoup plus largement admise, en particulier chez les rhumatologues français [24]. Elle consiste là aussi à intégrer dans le concept d’enthèse des régions particulièrement concernées par le processus inflammatoire des SpA, mais elle garde le caractère d’insertion osseuse de l’enthèse. Il paraît en effet judicieux d’associer aux enthèses les insertions du tissu discal intervertébral dans les plateaux vertébraux.
Certains considèrent même que l’ensemble du disque est une enthèse [24]. La région très fibreuse et ligamentaire de l’« articulation » sacro-iliaque est évidemment une région très riche en enthèses. S’en rapprochent les symphyses pubiennes et manubriosternales [14,24]. Enfin, l’extrémité des doigts et des orteils comprend un riche réseau fibreux plus ou moins en continuité de l’os à l’ongle, tandis que l’articulation interphalangienne distale est elle-même très riche en ligaments péri articulaires, justifiant pour certains une inclusion de ces extrémités distales dans un territoire enthésique élargi [24].

Références :

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