D’une façon générale, la grossesse doit être médicalisée en ce sens qu’il est indispensable de planifier l’arrêt des traitements potentiellement tératogènes avant la conception. Une contraception efficace est indispensable pour certains traitements de fond ou immunosuppresseurs.

Hydroxychloroquine et chloroquine :

L’hydroxychloroquine (HCQ) est autorisée au cours de la grossesse, notamment chez les femmes lupiques, et ne doit pas être interrompue en raison du risque de poussée. En revanche, la chloroquine, peu utilisée désormais en France, est à éviter car elle a été associée à des anomalies congénitales. L’allaitement est possible si la maladie traitée l’autorise ; il n’est plus jugé utile d’arrêter l’HCQ qui passe la barrière foetoplacentaire et se retrouve en forte concentration dans le lait maternel mais sans effet toxique chez l’enfant [2,5].

Sulfasalazine :

Les données de pharmacovigilance et l’expérience acquise avec la sulfasalazine (SAZP) au cours de la PR et des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) n’ont pas montré d’excès de malformations dans l’espèce humaine [12]. La bonne pratique pourrait être d’utiliser la dose efficace minimale selon chaque pathologie. Selon le Vidal, en cas de fortes doses (> 3 g/jour), plutôt réservées aux MICI, une surveillance échographique rénale est recommandée car un cas d’hypoéchogénicité de reins foetaux et insuffisance rénale à la naissance avec 4 g de mésalazine seule, au cours du 2e trimestre, et trois cas de malformations au décours de deux grossesses chez deux femmes avec maladie de Crohn traitée par SAZP ont été rapportés [13]. Pour certains rhumatologues, au cours de la PR, la SAZP seule ou en association à l’HCQ, peut être utilisée pour relayer et remplacer le méthotrexate (MTX) avant une grossesse. Le MTX est associé à la SAZP, voire à la bithérapie SAZP-HCQ pendant deux à trois mois, délai habituel d’action de la SAZP,
puis est progressivement interrompu avant d’autoriser une grossesse. Il est possible qu’une « lune de miel », c’est-à-dire une mise en rémission de la PR, survienne pendant la grossesse, ce qui permet d’alléger le traitement. Chez l’homme, une infertilité transitoire est possible, ce qui justifie l’arrêt de la SAZP trois mois avant d’envisager une conception.

Méthotrexate :

Le MTX est contre-indiqué durant la grossesse en raison du risque tératogène et ne doit être prescrit qu’associé à une contraception efficace. Une étude française récente des centres de pharmacovigilance a répertorié le risque chez 26 femmes atteintes de diverses maladies inflammatoires qui ont été exposées au MTX au cours du 1er trimestre de leur grossesse (huit semaines de grossesse en moyenne).Vingt-huit grossesses ont été analysées. Quatre fausses couches sont survenues et cinq IVG ont été décidées. Dix-neuf grossesses dont trois prématurées ont pu être analysées. Le poids de naissance était celui attendu. Un seul enfant avait de petites anomalies, métatarsus varus et angiome d’une paupière. Cela suggère pour les auteurs, avec toutes les précautions dues à la méthodologie, qu’il n’y a pas de signal de gravité suite à une exposition au MTX en début de grossesse, à condition que l’arrêt du médicament ait lieu précocement [14]. Toutefois, une expérience nord-américaine portant sur 65 grossesses dont 38 après exposition au MTX a signalé trois malformations survenues dans le seul sous-groupe MTX [15]. À noter que les doses de MTX utilisées dans la PR sont bien inférieures à celles utilisées en association au misoprostol pour induire une IVG. Après arrêt du MTX, il faut veiller à assurer ou à renforcer une supplémentation en folates car la carence relative est associée à un risque malformatif (fente palatine, anomalie de fermeture du tube neural). Rappelons qu’il faut arrêter le MTX trois mois avant la conception et poursuivre la contraception pendant ces trois mois. Chez l’homme, une durée d’interruption du MTX est recommandée trois mois avant l’éventuelle conception.

Léflunomide :

Le léflunomide (LEF) est transformé en son métabolite actif, le A 77 1726 qui bloque la synthèse de novo des bases pyrimidiques. Il possède une demi-vie prolongée et s’accumule dans l’organisme. Il est tératogène chez l’animal et donc potentiellement chez l’homme. La grossesse est contreindiquée durant cette prescription. Des cas de grossesses menées à terme ont été décrits sans malformation [15] mais les effectifs sont trop faibles pour apporter une conclusion et les effets à long terme chez les enfants sont inconnus. Il ne doit pas être utilisé durant l’allaitement. En cas de grossesse chez une patiente sous LEF, une méthode d’élimination rapide du métabolite est l’administration pendant 11 jours en moyenne, souvent difficile à mener au terme, de cholestyramine à la dose de 8 g × 3/jour ou de charbon actif 50 g × 4 fois/jour. Un dosage du métabolite doit amener à un taux plasmatique deA 77 1726 inférieur à 0,02 mg/l (numéro vert fourni par le laboratoire). La même procédure est à appliquer en cas de désir de grossesse avec le risque de poussée évolutive de la PR. En cas de grossesse débutée sous LEF, sous MTX ou tout autre immunosuppresseur, l’attitude vis-à-vis du foetus n’est pas univoque et doit être discutée avec le couple après information recueillie par le médecin auprès du CRAT (http://lecrat.monsite.wanadoo.fr) : il n’y a pas de recommandation systématique d’interruption thérapeutique de grossesse. Il est proposé d’arrêter le médicament, d’assurer un « wash-out » dans le cas du LEF, et d’adapter la poursuite de la grossesse aux résultats des échographies de surveillance. Celles-ci ne sont plus alors limitées au nombre légal (trois échographies à la 12e, 22e et 28–30e semaines d’aménorrhée) mais réalisées selon les malformations connues chez l’animal et susceptibles d’être ciblées par échographie. Les échographies seront réalisées au mieux par le centre de référence échographique de la région de résidence. Cette démarche a une faible valeur prédictive positive mais est la seule disponible. Ces observations doivent être l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance au centre régional de pharmacovigilance et au laboratoire pharmaceutique.

Azathioprine :

Une bonne sécurité d’emploi de l’azathioprine (AZA) a été obtenue au moins dans deux situations d’immunosuppression : grossesse chez la femme transplantée d’organe et grossesse au cours des MICI. À ce titre, une recommandation récente, fondée sur une méthode RAND ou Delphi avec avis d’experts, considère qu’il est inapproprié d’interrompre l’AZA avant la conception en cas de MICI active [16].

Cyclophosphamide, mycophénolate mofetil :

La tératogénicité du cyclophosphamide (CyP) est établie chez l’être humain et celle du mycophénolate mofétil (MFM) chez l’animal. Ils sont contre-indiqués durant la grossesse. Il faut s’assurer d’un arrêt de trois mois au moins du CyP et de six semaines du MFM avant d’autoriser une tentative de conception. La contraception doit être maintenue pour ces mêmes durées après arrêt des médicaments. Un relais parAZA peut être proposé.

Ciclosporine A :

Aucun effet tératogène n’a été décrit chez l’animal ou chez l’homme. En clinique, l’emploi de la ciclosporine A (CiA) n’a pas donné lieu à des malformations. Toutefois, des naissances prématurées et un retard de croissance intra-utérin ont été rapportés sans que la responsabilité de la maladie sousjacente ne puisse être exclue. L’attitude recommandée est toutefois de ne poursuivre la CiA au cours de la grossesse que si l’indication est clairement maintenue. L’allaitement maternel est déconseillé.

Agents bloquants du TNF :

Le Club rhumatismes et inflammation (CRI, section spécialisée de la Société française de rhumatologie) a récemment mis à jour la fiche concernant le souhait ou la survenue d’une grossesse au cours d’un traitement par agents bloquants du TNF (adresse internet : http://www.cri-net.com). En l’absence de données suffisantes, ces agents biologiques sont contre-indiqués au cours de la grossesse et imposent une contraception efficace avant la mise au traitement. Avant initiation du traitement, chez les femmes en période d’activité génitale, il est indispensable de demander à la patiente ou au couple si un projet de grossesse est envisagé afin d’évaluer les alternatives thérapeutiques, le choix de contrôler la maladie avant une grossesse par d’autres moyens qu’un anti-TNF car il parait souhaitable d’éviter de débuter ce traitement dans de telles conditions. Lorsqu’une femme déjà traitée par anti-TNF émet le souhait d’une grossesse, il faut interrompre le traitement par anti- TNF (et le MTX associé le cas échéant) au moins trois mois avant la conception. Selon les résumés des caractéristiques produits, les délais sont plus longs : infliximab : six mois ; adalimumab : cinq mois ; étanercept : pas de recommandation. Ce délai n’est fondé sur aucune donnée formelle mais reflète une interpolation de divers éléments et le « principe de précaution ». Il faut souligner que les données concernant les grossesses survenues sous anti-TNF, en particulier sous infliximab, ne diffèrent pas de celles conduites en l’absence d’agents anti-TNF. Le délai de trois mois est établi en prenant en compte, au minimum, un arrêt correspondant à cinq demi-vies du médicament de façon à obtenir un taux sérique infrathérapeutique, durée qui est sans doute à réduire pour l’étanercept dont la demi-vie est plus courte. En cas de grossesse débutée sous agents anti-TNF, les données actuelles sont rassurantes mais ne remettent pas en cause le principe de mise en garde énoncé. Plusieurs dizaines de grossesses ont été rapportées avec les trois agents anti-TNF, infliximab principalement, et dans diverses indications en particulier au cours de la maladie de Crohn (MC) et la PR [17–24]. Une série de 131 grossesses sous infliximab, principalement chez des femmes atteintes de MC, a permis de signaler pour 96 d’entre elles, une évolution normale dans 67 % des cas, des fausses couches précoces pour 15 %, et un avortement thérapeutique dans 19 % des cas [23]. Il n’a pas été observé de malformation inattendue (un cas de tétralogie de Falot, une anomalie digestive chez un enfant dont la mère prenait aussi du léflunomide). L’ensemble de ces données ne diffère pas de celles de la population générale ni de celles de femmes atteintes de MC. Dans la PR, une présentation de Christina Chambers (Organization of Teratology Information Services [OTIS]) au congrès de l’ACR en 2004, a rapporté le suivi prospectif de 32 femmes atteintes de PR exposées au premier trimestre à l’étanercept (n = 28) ou à l’INF (n = 4), en les comparant à 77 PR non traitées par anti-TNF et 50 femmes témoins [24]. Sur 155 grossesses, les taux de fausses couches spontanées et de malformations ne différaient pas entre les groupes ; en revanche, la prématurité et un poids de naissance plus faible poids de naissance étaient constatés dans les deux groupes PR comparés au groupe témoin, soulignant le rôle de la maladie et des corticoïdes. En pratique, une grossesse survenant sous anti-TNF impose les mesures recommandées suivantes : arrêt immédiat de l’agent biologique et du MTX, le cas échéant ; surveillance échographique du foetus ; déclarations de pharmacovigilance au centre régional de pharmacovigilance et au laboratoire. La femme et son partenaire doivent décider s’ils souhaitent poursuivre la grossesse, en l’absence d’anomalie échographique lors du suivi obstétrical. Les mesures préventives doivent toujours être privilégiées en l’attente d’informations complémentaires. L’allaitement n’est pas recommandé car les agents anti- TNF passent dans le lait maternel. Cela ne pose pas de réel problème en pratique courante car l’arrêt de l’agent anti- TNF a été effectué avant le début de la grossesse. En revanche, il ne doit pas être repris avant la fin de l’allaitement. Chez l’homme, après avis des experts du CRAT, compte tenu de l’absence d’effets mutagènes et clastogènes observés avec ces molécules, il ne semble pas justifié d’interrompre le traitement par anti-TNF chez un homme qui souhaite avoir un enfant. Une réduction de fertilité masculine a été décrite avec l’infliximab [25].

Références :

[2] De Bandt M. Lupus et grossesse. Rev Rhum 2005;72 (sous presse).

[5] Dreiser RL, De BandtM. Traitements rhumatologiques autorisés chez la femme enceinte« primum non nocere » (pp. 381–94). In: Kahn MF, Kuntz D, Meyer O, Bardin T, Orcel P, Guérin C, editors. L’actualité rhumatologique 1998. Paris: Expansion Scientifiques Publications; 1998.

[12] Norgard B, Czeizel AE, Rockenbauer M, Olsen J, Sorensen HT. Population-based case control study of the safety of sulfasalazine use during pregnancy. Aliment Pharmacol Ther 2001;15:483–6.

[13] Newman NM, Correy JF. Possible teratogenicity of sulphasalazine. Med J Aust 1983;28:528–9 (1).

[14] Lewden B, Vial T, Elefant E, Nelva A, Carlier P, Descotes J, French Network of Regional Pharmacovigilance Centers. Low dose methotrexate in the first trimester of pregnancy: results of a French collaborative study. J Rheumatol 2004;31:2360–5.

[15] Chakravarty EF, Sanchez-Yamamoto D, Bush TM. The use of disease modifying antirheumatic drugs in women with rheumatoid arthritis of childbearing age: a survey of practice patterns and pregnancy outcomes. J Rheumatol 2003;30:241–6.

[16] Caprilli R, Angelucci E, Cocco A, Viscido A, Annese V, Ardizzone S, et al. Appropriateness of immunosuppressive drugs in inflammatory bowel diseases assessed by RAND method: Italian Group for IBD (IG-IBD) position statement. Dig Liver Dis 2005;37:407–17.

[17] Sills ES, Perloe M, Tucker MJ, Kaplan CR, Palermo GD. Successful ovulation induction, conception, and normal delivery after chronic therapy with etanercept: a recombinant fusion anticytokine treatment for rheumatoid arthritis. Am J Reprod Immunol 2001;46:366–8.

[23] Mottet C, Juillerat P, Gonvers JJ, Froehlich F, Burnand B, Vader JP, et al. Pregnancy and Crohn’s disease. Digestion 2005;71:54–61.

[24] Chambers CD, Johnson DL, Jones KL. The OTIS collbarative research group. Pregnancy outcome in women exposed to anti-TNFalpha medications: The OTIS rheumatoid arthritis in pregnancy study. Arthritis Rheum 2004;50:S479 (abstract).

[25] Mahadevan U, Terdiman JP,Aron J, Jacobsohn S, Tarek P. Infliximab and semen quality in men with inflammatory bowel discase. Inflamm Bowel Dis 2005;:395–9.