Revue du Rhumatisme 72 (2005) 755 – 760
Frédéric Lioté
Fédération de rhumatologie et Inserm U606 (centre Viggo-Petersen), UFR médecine Paris-VII, hôpital Lariboisière,
2, rue Ambroise-Paré,75010 Paris, France

Reçu le : 31 mai 2005
Accepté le : 2 juin 2005
Disponible sur internet le : 28 juin 2005

Pregnancy drug use in rheumatic diseases

Mots clés : Grossess, Médicaments, Malformations foetales, Affections rhumatologiques, Polyarthrite rhumatoïde, Lupus systémique.
Keywords : Pregnancy, Drugs, Fetopathy, Rheumatic diseases, Rheumatoid arthritis, Systemic lupus erythematosus.

Introduction

Les diverses pathologies abordées dans cette monographie recouvrent la pathologie mécanique où les antalgiques et les gestes locaux vont être les principaux moyens thérapeutiques, mais aussi des maladies inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde (PR) et les autres maladies systémiques. Le lupus ne sera pas abordé de façon détaillée car il vient de faire l’objet de deux numéros complets en 2005 [1,2].

D’une façon générale, au cours des maladies systémiques, il est indispensable de contrôler la maladie avant la conception et durant la grossesse pour s’assurer de la qualité de santé de la mère et du foetus. La prudence va présider à la prescription des médicaments. L’adaptation du traitement va prendre en compte la mère et l’enfant à naître selon le degré de maturation embryonnaire puis foetale. « Primum non nocere ». Il faut remarquer qu’il n’y a pas de consensus sur la prescription des médicaments même les plus courants comme les antalgiques et les AINS. Une synthèse des informations disponibles est proposée dans le Tableau 1.

On peut faire appel, pour valider certains points de vue, aux recommandations de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (http://agmed.sante.gouv.fr), notamment du groupe grossesse et médicaments, et de l’American College of Rheumatology (ACR) (http://www.rheumatology.org) auxquelles s’ajoutent les avis d’experts et de pharmacologues. Doivent être pris en compte le risque évolutif propre de la maladie, celui de l’arrêt des traitements, souvent supérieur à ceux du traitement lui-même, et les risques iatrogènes, en particulier sur le développement du foetus. Ceux-ci doivent être confrontés en fréquence au risque naturel encouru dans toute grossesse. Le risque de base de malformations à la naissance est en effet de 2 à 4 %, dont 25 % sont des aberrations chromosomiques, 65 % d’origine multifactorielle et 10 % d’origine environnementale incluant les médicaments. L’imputabilité d’un effet secondaire médicamenteux en termes de risque foetal est donc d’analyse sémiologique difficile.

Le centre de renseignements sur les agents tératogènes (CRAT) de l’hôpital Armand-Trousseau à Paris, qui dispose d’une banque de données internationale (http://lecrat.monsite.wanadoo.fr), est disponible par courrier ou par téléphone pour renseigner et conseiller les médecins et leurs patientes.

Médicaments à l’usage du rhumatologue et prescritpion durant la grossesse

Autorisés :

  • Antalgiques de niveau I
  • Corticoïdes (prednisone)
  • Aspirine (faible dose)
  • Antimalariques (surtout l’hydroxychloroquine)
  • Azathioprine
  • Colchicine
  • Héparines (toutes formes)
  • Sulfasalazine

Autorisés uniquement après avis spécialisé :

  • Antalgiques de niveau II ou III
  • Antidépresseurs
  • Ciclosporine
  • AINS (second trimestre)

Anomalie hématologique :

  • anémie hémolytique ou
  • leucopénie

Antalgiques

Antalgiques de niveau I : Paracétamol

C’est l’antipyrétique et l’antalgique de référence pendant la grossesse [3]. Il doit être toujours employé de première intention. Les doses optimales du Codex (4 g/jour) peuvent être utilisées.

Antalgiques de niveau II

Ils n’ont pas l’AMM mais sont utilisés au cours de la grossesse. Les preuves d’un effet tératogène sont très discutées et limitées à quelques cas isolés [3]. C’est le cas du dextropropoxyphène qui est l’antalgique de niveau II à utiliser si besoin ; son emploi est possible avec une bonne sécurité sur l’ensemble de la grossesse. Les dérivés codéïnés peuvent être prescrits à partir du 3e mois avec un profil de sécurité satisfaisant. Les dérivés opioïdes viennent d’être impliqués dans la survenue de neuroblastome de l’enfant dans une étude nordaméricaine portant sur 504 cas de neuroblastome. Le risque relatif était de 2,4 (IC 95 % 1,3–4,3) en cas d’exposition à des dérivés opiacés et de 3,4 (IC 95%1,4–8,4) pour la codéine durant la grossesse ou l’allaitement [4]. Cette étude demande à être confirmée en raison du risque de biais de sélection. Le tramadol n’a pas encore un recul suffisant et ne doit être proposé qu’en dernier recours. D’une façon générale, il faut garder à l’esprit que les dérivés opiacés exposent à majorer la constipation de la grossesse. Un syndrome de sevrage du nouveau-né à la naissance est possible.

Antalgiques de niveau III

Les opiacés sont à utiliser avec précaution [5]. La morphine n’a pas d’effet tératogène mais est responsable de retard de croissance et de prématurité. Son arrêt brutal peut déclencher un syndrome de sevrage fatal in utero ou un syndrome de sevrage clinique à la naissance.

Anti-inflamatoires non stréroïdiens (AINS) et stéroïdiens

AINS :

Les AINS sont formellement contre-indiqués par l’Afssaps dès le 6e mois de grossesse. Cette interdiction est commune à tout AINS, COXIB et formes topiques compris. Comme les AINS inhibent la synthèse des prostaglandines, ils peuvent prolonger le travail et majorer les risques du postpartum, hémorragique en particulier [5]. Ils sont responsables d’insuffisance rénale aiguë, parfois anurique, et d’hypertension artérielle (HTA). Ces phénomènes ne dépendent pas de la dose et un seul jour de traitement peut suffire. Ce risque ne doit pas être oublié en particulier en cas de prise d’AINS à faible dose en vente libre comme antalgique. Quel que soit l’AINS, il n’y a pas de risque tératogène démontré. En revanche, ils entraînent une fermeture prématurée du canal artériel [6] même à faible dose quel que soit l’AINS. Les AINS ne sont donc pas formellement contreindiqués au cours des six premiers mois de grossesse. Ils sont de préférence à éviter au cours du premier trimestre. Il faut donner la préférence aux formes à demi-vie courte, aux posologies faibles et de durée courte.

Aspirine :

Ce médicament est largement utilisé durant la grossesse [5]. À faible dose, il inhibe la cyclo-oxygénase plaquettaire mais ne modifie pas la forme endothéliale. Un élément rassurant est la bonne tolérance de l’aspirine à faible dose administrée chez des femmes atteintes de toxémie gravidique ou de syndrome des antiphospholipides qui n’ont pas développé plus fréquemment d’anomalies. En revanche, son utilisation dans les jours qui précèdent la délivrance est associée à un risque hémorragique. Il est recommandé ainsi d’arrêter l’aspirine dans les jours qui précèdent l’accouchement. Comme l’aspirine passe la barrière placentaire, les concentrations foetales peuvent être quatre fois plus élevées que chez la mère ; le risque hémorragique chez l’enfant n’est observé que pour des posologies élevées d’aspirine chez la mère (1,5 à 4 g/jour). Pour des posologies inférieures, le risque hémorragique semble nul pour le nouveauné. Le risque relatif de malformation due à l’aspirine à forte dose en début de grossesse est de 1,07 (IC 0,8–1,11).

Glucocorticoïdes :

Leur emploi est large, en relais desAINS, au cours de grossesses survenant chez des femmes atteintes de PR et de lupus. Ils n’ont pas d’effet tératogène. La prednisone est le médicament de référence en raison de sa demi-vie courte et de son faible passage placentaire car elle est catabolisée dans le placenta. À l’inverse, la bêtaméthasone et la dexaméthasone passent la barrière placentaire. Ainsi, pour traiter la mère, priorité sera donnée à la prednisone ; pour l’enfant in utero, on utilisera la bêta- ou la dexaméthasone. Les risques de la corticothérapie concernent la mère : intolérance au glucose et HTA accompagnée de son risque de prééclampsie et de toxémie gravidique. Pour l’enfant à naître, la sécurité d’emploi de la prednisone est satisfaisante avec toutefois des risques de retard de croissance modérés avec des différences de poids de naissance de l’ordre de 500 g envi- 756 F. Lioté / Revue du Rhumatisme 72 (2005) 755–760 ron. Le risque d’HTA de l’enfant semble limité et mal connu à la naissance mais potentiellement plus élevé à l’âge adulte [7,8].

Décontracturants et benzodiazépines

Ils sont à éviter au cours du premier trimestre car aucune étude n’a établi leur absence de pouvoir tératogène. En revanche, des benzodiazépines (BZD) à faible dose ont un risque considéré comme faible au cours du 3e trimestre. Les recommandations du centre de pharmacovigilance ont été rédigées en 2002 et sont disponibles sur le site de Bordeaux [9]. Les BZD anxiolytiques et hypnotiques sont très largement prescrites chez la femme enceinte. Les études chez la souris et le hamster ont mis en évidence une augmentation de l’incidence des fentes palatines avec la plus étudiée de toutes les BZD, le diazépam. Ce risque malformatif n’a pas été observé dans d’autres espèces (rat, primates).

En clinique, les données sont rassurantes ; on dispose du suivi de grossesses exposées aux BZD les plus anciennes (diazépam en particulier) et il n’a pas été mis en évidence de modification du risque malformatif, notamment de fente palatine.

On considère actuellement que la classe des BZD est assez homogène et que le risque malformatif n’est probablement pas modifié. L’utilisation prolongée n’est toutefois pas conseillée, sauf si elle est vraiment indispensable car il s’agit quand même de psychotropes qui vont se fixer sur les récepteurs du cerveau du foetus. Il faut veiller à ne pas arrêter brutalement un traitement ancien et prolongé par BZD, ce qui pourrait entraîner un syndrome de sevrage.

L’utilisation de BZD en fin de grossesse expose le nouveau-né à un risque de somnolence, hypotonie, détresse respiratoire à la naissance et à un syndrome de sevrage (avec risque de convulsions) dans les jours qui suivent. Au total, lorsqu’un traitement anxiolytique ou hypnotique est indispensable chez la femme enceinte, le meilleur choix proposé par les pharmacologues bordelais [9] est l’oxazépam (Seresta®), métabolite actif du diazépam à durée d’action intermédiaire.

La durée du traitement et la posologie devront bien sûr être les plus courtes et faibles possibles.

Colchicine

L’utilisation de la colchicine au cours de la fièvre méditerranéenne familiale (FMF) est rassurante. Des centaines de femmes enceintes ont débuté leur grossesse sous colchicine et ont pu mener à terme des grossesses normales [10,11]. Les nouveau-nés issus de femmes atteintes de FMF sont normaux. La colchicine passe pour 1/3 dans le lait maternel mais ne donne pas d’effet secondaire chez le nourrisson ; l’allaitement est donc possible sans interruption du médicament. Le traitement ne doit pas être interrompu pendant la grossesse, en particulier pour éviter tout risque d’aggravation de la maladie périodique chez la mère [11].

Traitements de fond et structuraux

D’une façon générale, la grossesse doit être médicalisée en ce sens qu’il est indispensable de planifier l’arrêt des traitements potentiellement tératogènes avant la conception. Une contraception efficace est indispensable pour certains traitements de fond ou immunosuppresseurs.

Hydroxychloroquine et chloroquine :

L’hydroxychloroquine (HCQ) est autorisée au cours de la grossesse, notamment chez les femmes lupiques, et ne doit pas être interrompue en raison du risque de poussée. En revanche, la chloroquine, peu utilisée désormais en France, est à éviter car elle a été associée à des anomalies congénitales. L’allaitement est possible si la maladie traitée l’autorise ; il n’est plus jugé utile d’arrêter l’HCQ qui passe la barrière foetoplacentaire et se retrouve en forte concentration dans le lait maternel mais sans effet toxique chez l’enfant [2,5].

Sulfasalazine :

Les données de pharmacovigilance et l’expérience acquise avec la sulfasalazine (SAZP) au cours de la PR et des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) n’ont pas montré d’excès de malformations dans l’espèce humaine [12]. La bonne pratique pourrait être d’utiliser la dose efficace minimale selon chaque pathologie. Selon le Vidal, en cas de fortes doses (> 3 g/jour), plutôt réservées aux MICI, une surveillance échographique rénale est recommandée car un cas d’hypoéchogénicité de reins foetaux et insuffisance rénale à la naissance avec 4 g de mésalazine seule, au cours du 2e trimestre, et trois cas de malformations au décours de deux grossesses chez deux femmes avec maladie de Crohn traitée par SAZP ont été rapportés [13]. Pour certains rhumatologues, au cours de la PR, la SAZP seule ou en association à l’HCQ, peut être utilisée pour relayer et remplacer le méthotrexate (MTX) avant une grossesse. Le MTX est associé à la SAZP, voire à la bithérapie SAZP-HCQ pendant deux à trois mois, délai habituel d’action de la SAZP,
puis est progressivement interrompu avant d’autoriser une grossesse. Il est possible qu’une « lune de miel », c’est-à-dire une mise en rémission de la PR, survienne pendant la grossesse, ce qui permet d’alléger le traitement. Chez l’homme, une infertilité transitoire est possible, ce qui justifie l’arrêt de la SAZP trois mois avant d’envisager une conception.

Méthotrexate :

Le MTX est contre-indiqué durant la grossesse en raison du risque tératogène et ne doit être prescrit qu’associé à une contraception efficace. Une étude française récente des centres de pharmacovigilance a répertorié le risque chez 26 femmes atteintes de diverses maladies inflammatoires qui ont été exposées au MTX au cours du 1er trimestre de leur grossesse (huit semaines de grossesse en moyenne).Vingt-huit grossesses ont été analysées. Quatre fausses couches sont survenues et cinq IVG ont été décidées. Dix-neuf grossesses dont trois prématurées ont pu être analysées. Le poids de naissance était celui attendu. Un seul enfant avait de petites anomalies, métatarsus varus et angiome d’une paupière. Cela suggère pour les auteurs, avec toutes les précautions dues à la méthodologie, qu’il n’y a pas de signal de gravité suite à une exposition au MTX en début de grossesse, à condition que l’arrêt du médicament ait lieu précocement [14]. Toutefois, une expérience nord-américaine portant sur 65 grossesses dont 38 après exposition au MTX a signalé trois malformations survenues dans le seul sous-groupe MTX [15]. À noter que les doses de MTX utilisées dans la PR sont bien inférieures à celles utilisées en association au misoprostol pour induire une IVG. Après arrêt du MTX, il faut veiller à assurer ou à renforcer une supplémentation en folates car la carence relative est associée à un risque malformatif (fente palatine, anomalie de fermeture du tube neural). Rappelons qu’il faut arrêter le MTX trois mois avant la conception et poursuivre la contraception pendant ces trois mois. Chez l’homme, une durée d’interruption du MTX est recommandée trois mois avant l’éventuelle conception.

Léflunomide :

Le léflunomide (LEF) est transformé en son métabolite actif, le A 77 1726 qui bloque la synthèse de novo des bases pyrimidiques. Il possède une demi-vie prolongée et s’accumule dans l’organisme. Il est tératogène chez l’animal et donc potentiellement chez l’homme. La grossesse est contreindiquée durant cette prescription. Des cas de grossesses menées à terme ont été décrits sans malformation [15] mais les effectifs sont trop faibles pour apporter une conclusion et les effets à long terme chez les enfants sont inconnus. Il ne doit pas être utilisé durant l’allaitement.

En cas de grossesse chez une patiente sous LEF, une méthode d’élimination rapide du métabolite est l’administration pendant 11 jours en moyenne, souvent difficile à mener au terme, de cholestyramine à la dose de 8 g × 3/jour ou de charbon actif 50 g × 4 fois/jour. Un dosage du métabolite doit amener à un taux plasmatique de A 77 1726 inférieur à 0,02 mg/l (numéro vert fourni par le laboratoire). La même procédure est à appliquer en cas de désir de grossesse avec le risque de poussée évolutive de la PR. En cas de grossesse débutée sous LEF, sous MTX ou tout autre immunosuppresseur, l’attitude vis-à-vis du foetus n’est pas univoque et doit être discutée avec le couple après information recueillie par le médecin auprès du CRAT (http://lecrat.monsite.wanadoo.fr) : il n’y a pas de recommandation systématique d’interruption thérapeutique de grossesse. Il est proposé d’arrêter le médicament, d’assurer un « wash-out » dans le cas du LEF, et d’adapter la poursuite de la grossesse aux résultats des échographies de surveillance. Celles-ci ne sont plus alors limitées au nombre légal (trois échographies à la 12e, 22e et 28–30e semaines d’aménorrhée) mais réalisées selon les malformations connues chez l’animal et susceptibles d’être ciblées par échographie. Les échographies seront réalisées au mieux par le centre de référence échographique de la région de résidence. Cette démarche a une faible valeur prédictive positive mais est la seule disponible. Ces observations doivent être l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance au centre régional de pharmacovigilance et au laboratoire pharmaceutique.

Azathioprine :

Une bonne sécurité d’emploi de l’azathioprine (AZA) a été obtenue au moins dans deux situations d’immunosuppression : grossesse chez la femme transplantée d’organe et grossesse au cours des MICI. À ce titre, une recommandation récente, fondée sur une méthode RAND ou Delphi avec avis d’experts, considère qu’il est inapproprié d’interrompre l’AZA avant la conception en cas de MICI active [16].

Cyclophosphamide, mycophénolate mofetil :

La tératogénicité du cyclophosphamide (CyP) est établie chez l’être humain et celle du mycophénolate mofétil (MFM) chez l’animal. Ils sont contre-indiqués durant la grossesse. Il faut s’assurer d’un arrêt de trois mois au moins du CyP et de six semaines du MFM avant d’autoriser une tentative de conception. La contraception doit être maintenue pour ces mêmes durées après arrêt des médicaments. Un relais parAZA peut être proposé.

Ciclosporine A :

Aucun effet tératogène n’a été décrit chez l’animal ou chez l’homme. En clinique, l’emploi de la ciclosporine A (CiA) n’a pas donné lieu à des malformations. Toutefois, des naissances prématurées et un retard de croissance intra-utérin ont été rapportés sans que la responsabilité de la maladie sousjacente ne puisse être exclue. L’attitude recommandée est toutefois de ne poursuivre la CiA au cours de la grossesse que si l’indication est clairement maintenue. L’allaitement maternel est déconseillé.

Agents bloquants du TNF :

Le Club rhumatismes et inflammation (CRI, section spécialisée de la Société française de rhumatologie) a récemment mis à jour la fiche concernant le souhait ou la survenue d’une grossesse au cours d’un traitement par agents bloquants du TNF (adresse internet : http://www.cri-net.com). En l’absence de données suffisantes, ces agents biologiques sont contre-indiqués au cours de la grossesse et imposent une contraception efficace avant la mise au traitement.

Avant initiation du traitement, chez les femmes en période d’activité génitale, il est indispensable de demander à la patiente ou au couple si un projet de grossesse est envisagé afin d’évaluer les alternatives thérapeutiques, le choix de contrôler la maladie avant une grossesse par d’autres moyens qu’un anti-TNF car il parait souhaitable d’éviter de débuter ce traitement dans de telles conditions. Lorsqu’une femme déjà traitée par anti-TNF émet le souhait d’une grossesse, il faut interrompre le traitement par anti- TNF (et le MTX associé le cas échéant) au moins trois mois avant la conception. Selon les résumés des caractéristiques produits, les délais sont plus longs : infliximab : six mois ; adalimumab : cinq mois ; étanercept : pas de recommandation. Ce délai n’est fondé sur aucune donnée formelle mais reflète une interpolation de divers éléments et le « principe de précaution ». Il faut souligner que les données concernant les grossesses survenues sous anti-TNF, en particulier sous infliximab, ne diffèrent pas de celles conduites en l’absence d’agents anti-TNF. Le délai de trois mois est établi en prenant en compte, au minimum, un arrêt correspondant à cinq demi-vies du médicament de façon à obtenir un taux sérique infrathérapeutique, durée qui est sans doute à réduire pour l’étanercept dont la demi-vie est plus courte. En cas de grossesse débutée sous agents anti-TNF, les données actuelles sont rassurantes mais ne remettent pas en cause le principe de mise en garde énoncé.

Plusieurs dizaines de grossesses ont été rapportées avec les trois agents anti-TNF, infliximab principalement, et dans diverses indications en particulier au cours de la maladie de Crohn (MC) et la PR [17–24]. Une série de 131 grossesses sous infliximab, principalement chez des femmes atteintes de MC, a permis de signaler pour 96 d’entre elles, une évolution normale dans 67 % des cas, des fausses couches précoces pour 15 %, et un avortement thérapeutique dans 19 % des cas [23]. Il n’a pas été observé de malformation inattendue (un cas de tétralogie de Falot, une anomalie digestive chez un enfant dont la mère prenait aussi du léflunomide). L’ensemble de ces données ne diffère pas de celles de la population générale ni de celles de femmes atteintes de MC. Dans la PR, une présentation de Christina Chambers (Organization of Teratology Information Services [OTIS]) au congrès de l’ACR en 2004, a rapporté le suivi prospectif de 32 femmes atteintes de PR exposées au premier trimestre à l’étanercept (n = 28) ou à l’INF (n = 4), en les comparant à 77 PR non traitées par anti-TNF et 50 femmes témoins [24].

Sur 155 grossesses, les taux de fausses couches spontanées et de malformations ne différaient pas entre les groupes ; en revanche, la prématurité et un poids de naissance plus faible poids de naissance étaient constatés dans les deux groupes PR comparés au groupe témoin, soulignant le rôle de la maladie et des corticoïdes. En pratique, une grossesse survenant sous anti-TNF impose les mesures recommandées suivantes : arrêt immédiat de l’agent biologique et du MTX, le cas échéant ; surveillance échographique du foetus ; déclarations de pharmacovigilance au centre régional de pharmacovigilance et au laboratoire.

La femme et son partenaire doivent décider s’ils souhaitent poursuivre la grossesse, en l’absence d’anomalie échographique lors du suivi obstétrical. Les mesures préventives doivent toujours être privilégiées en l’attente d’informations complémentaires. L’allaitement n’est pas recommandé car les agents anti- TNF passent dans le lait maternel. Cela ne pose pas de réel problème en pratique courante car l’arrêt de l’agent anti- TNF a été effectué avant le début de la grossesse. En revanche, il ne doit pas être repris avant la fin de l’allaitement. Chez l’homme, après avis des experts du CRAT, compte tenu de l’absence d’effets mutagènes et clastogènes observés avec ces molécules, il ne semble pas justifié d’interrompre le traitement par anti-TNF chez un homme qui souhaite avoir un enfant. Une réduction de fertilité masculine a été décrite avec l’infliximab [25].

Traitement de l’ostéoporose

L’ostéoporose liée à la grossesse est une situation rare (cf. article MA Timsit, ce numéro) mais, sa fréquence est sans doute sous-estimée. Les apports de calcium et de vitamine peuvent être utilisés sans difficulté. Les bisphosphonates s’accumulent dans l’os et sont relargués de ce réservoir [26]. En l’absence de données, ils sont à éviter au cours de la grossesse.

Conclusion

La stratégie thérapeutique dépend du contexte de survenue et du type de la maladie rhumatologique. Lorsqu’il s’agit d’une pathologie acquise durant la grossesse (canal carpien, lombalgies, lombosciatique), il convient de privilégier les traitements locaux (infiltrations, orthèses), les mesures physiques et de se limiter aux analgésiques conventionnels en particulier au cours du premier trimestre. Les AINS ne sont pas contre-indiqués au 2e trimestre mais doivent être limités à de courtes périodes et bien sûr interrompus définitivement au début du 6e mois. Lorsqu’il s’agit d’une maladie inflammatoire connue, deux situations se présentent : instauration d’un (nouveau) traitement de fond qui doit tenir compte du désir d’enfant du couple, à évaluer a priori, ou maladie déjà traitée et équilibrée. Selon le risque tératogène de chaque molécule, il faut veiller à la qualité de la contraception et à son observance pour éviter les grossesses non désirées et les mesures de suivi thérapeutiques souvent mal vécues. Le problème réside dans les indications et modalités du suivi échographique à la recherche de malformation, sans qu’il y ait nécessité de recourir systématiquement à une interruption volontaire ou thérapeutique de grossesse. Un avis spécialisé est nécessaire (CRAT). Lorsque la patiente, habituellement traitée pour une PR ou une maladie systémique, exprime le désir de grossesse du couple, la démarche va être d’accompagner la demande et d’adapter le traitement : choix adapté d’un traitement de fond, interruption et relais de certaines molécules (MTX) interdites durant la grossesse, relais par les médicaments autorisés ou acceptables avec un niveau de sécurité suffisant (HCQ, SAZP, voire AZA), ajout d’une cortisonothérapie à faible dose en remplacement des AINS. Ces modifications doivent être faites en expliquant le délai d’arrêt nécessaire avant d’autoriser la grossesse et l’impératif de ne pas interrompre la contraception. Par exemple, rappelons qu’un arrêt du MTX d’au moins trois mois est nécessaire avant le début d’une éventuelle grossesse. Les risques à long terme des traitements immunosuppresseurs ou cortisonique concernant la survenue de maladies auto-immunes, voire de maladies néoplasiques chez les enfants nés de mères ainsi traitées sont encore inconnus [8].

Remerciements

À Mme le Dr Elefant, responsable du CRAT, hôpital Trousseau, AP-HP, Paris, pour ses informations et commentaires.

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